Témoignage

Journée du Deuil Périnatal : “Mon bébé n’a pas vécu, mais il a existé.”

Le 15 octobre, le monde se souvient des bébés partis trop tôt.

Chaque 15 du mois d’octobre, le monde s’arrête un instant pour penser à ces vies si courtes qu’elles n’ont parfois laissé qu’une empreinte sur une échographie, un prénom murmuré, un souvenir à peine commencé.

Selon les Nations unies, en 2021, 1,9 million d’enfants sont nés morts dans le monde. En 2022, les estimations indiquent que 4,9 millions d’enfants de moins de cinq ans sont décédés, soit un décès toutes les six secondes. Des chiffres qui glaçent, mais derrière eux, que voit-on réellement ? Des histoires intimes, des silences lourds, des larmes retenues… des parents meurtris qui apprennent à vivre avec une absence, un vide invisible qui ne se mesure pas. Pourquoi ce silence ? Le deuil périnatal reste encore trop souvent un cri étouffé, un sujet que la société peine à nommer. Et pourtant, parler, raconter, témoigner, c’est déjà un premier pas vers la guérison.

Aujourd’hui, nous donnons la parole à Aïcha, une jeune femme ivoirienne de 34 ans, institutrice de formation, qui a accepté, le cœur serré mais avec une force bouleversante de partager son histoire. Parce que le silence fait plus mal que les mots et que chaque témoignage brise un peu plus le tabou.

Q : Aïcha, comment tout a commencé ?

C’était en 2023, lorsque je portais ma toute première grossesse. J’étais si heureuse que je parlais déjà à mon ventre chaque matin, comme si le bébé pouvait m’entendre tellement j’avais hâte. Je lui chantais de petites chansons dans mon dialecte, je rêvais de ses petits doigts, de ses rires. Tout se passait bien, jusqu’à un matin où j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Mon bébé ne bougeait plus. J’ai attendu des jours, j’ai marché, j’ai prié… mais rien. Quelque chose n’allait pas.

Je décide donc de me rendre à l’hôpital, pour une consultation. Après m’avoir examinée, le médecin décide de me faire des examens plus approfondis. Lorsque les résultats sont prêts, il me fait appeler dans son bureau. Il s’assoit face à moi, pose doucement sa main sur la mienne… et sans un mot, j’ai compris, son regard en disait long. « Il n’y a plus de battement » m’a-t-il dit. À cet instant, j’ai senti le monde s’écrouler autour de moi. J’ai voulu crier, mais aucun son n’est sorti.

Q : Et après cet épisode, qu’est ce qui s’est passé ?

On m’a expliqué qu’il fallait provoquer l’accouchement. Je me souviens de cette phrase comme d’un coup de couteau : accoucher d’un bébé qui ne vivra pas.

J’étais en salle, entourée de femmes qui criaient de douleur… mais leurs cris, eux, étaient porteurs de vie. Les miens, au contraire, portaient un adieu. Quand il est né, tout était silencieux. On a posé un linge sur lui. Je n’ai pas eu la force de dire “montrez-le-moi”.

Dans la maternité, les pleurs des nouveau-nés résonnaient dans les couloirs. Moi, je n’avais que ce silence lourd… et mes larmes, qui m’ont suivi jusqu’à chez moi. Revenir à la maison sans bébé, c’est une douleur qu’on ne peut pas expliquer. On avait préparé une chambre, acheté des habits, choisi un prénom… et puis plus rien. Je voulais tellement, tellement mon garçon. Mais je me retrouvais seule, mon corps encore gonflé, mais vide et le cœur brisé. C’est comme si tout mon être criait sans fin : « il manque quelqu’un. »

Q : Comment avez-vous vécu les jours d’après ?

J’ai sombré. J’ai pleuré des jours entiers sans manger, sans comprendre pourquoi cela m’était arrivée. Certaines personnes me disaient : “Tu es jeune, tu en feras un autre, ce n’est pas la fin du monde.” Mais on ne remplace pas un enfant. Ce n’est pas une place vide qu’on comble, c’est une part de soi qu’on perd. D’autres disaient que c’était une punition, une malédiction. En Afrique, on parle peu de ce genre de douleur. On cache, on se tait, on étouffe. Alors, petit à petit, je me suis refermée sur moi-même… et j’ai souffert en silence.

Q : Qu’est-ce qui vous a aidée à tenir et à vous relever ?

Ma mère, d’abord. Elle me serrait toujours dans ses bras sans parler. Parfois, il n’y a rien à dire, juste être là. Puis mon mari qui était également présent dans cette dure épreuve. Et enfin, la sage-femme qui me suivait. Ces personnes m’ont vraiment sauvée. Ensemble, on a pleuré, on a prié, on a ri parfois aussi. Parce que dans ces moments, on a besoin des personnes pour nous rappeler qu’on est encore vivante.

Petit à petit, j’ai réappris à respirer, à vivre, à prendre soin de moi. J’ai compris qu’on pouvait porter la douleur et l’amour en même temps.

Q : Aujourd’hui, où en êtes-vous, qu’est-ce que vous ressentez ?

Aujourd’hui, par la grâce de DIEU, je suis de nouveau enceinte. Oui, j’ai peur. Peur de revivre la même chose, peur de m’attacher. Mais j’ai aussi de l’espoir. Cet espoir que la vie peut renaître là où elle s’était arrêtée. Ce nouveau bébé ne remplacera jamais mon ange, il vient juste agrandir mon cœur. Parce qu’un amour perdu ne s’efface pas, il se transforme. Et je veux croire que, de là-haut, mon petit me regarde, fier de sa maman.

Q : Qu’aimeriez-vous dire à toutes celles qui traversent la même épreuve ?

De ne pas se sentir coupables. De ne pas avoir honte. Le deuil périnatal, ce n’est pas une malédiction. C’est une blessure qu’on apprend à apprivoiser. Le bébé qu’on a porté, même s’il n’a pas vécu longtemps, a existé. Et ça, personne ne peut l’effacer. Force et courage à elles.

 

En Afrique, comme ailleurs dans le monde, parler du deuil périnatal reste un véritable défi, une blessure que l’on porte à cœur ouvert. Trop souvent, les femmes traversent ces pertes dans le silence, confrontées à l’incompréhension ou aux jugements. Pourtant, l’écoute et le soutien psychologique sont essentiels pour traverser cette épreuve.

Aujourd’hui, de plus en plus de professionnels de santé et d’associations œuvrent à libérer la parole, à accompagner les couples endeuillés et à redonner dignité de ce lien interrompu trop tôt…

Merci à Aïcha pour ton courage et ta générosité. Ton histoire est un exemple pour toutes les femmes qui traversent ce silence : oser parler, partager sa peine, c’est déjà commencer à guérir.

À celles qui continuent de vivre avec un vide invisible, mais un amour immense ; Que cette journée soit un hommage à la tendresse, à la résilience, et à l’espérance.

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